Budget 2026 et plus-value de la résidence principale : Le sanctuaire fissuré
SOMMAIRE
- Le droit actuel : Un principe d'exonération totale
- L'Amendement I-CF1426 Adopté en Commission
- L'Objectif : Frapper les "Culbutes Spéculatives"
- Le Dispositif : 5 Ans d'occupation hors quelques exceptions
- La réaction réservée du gouvernement
- L'Autre Offensive : La Chasse aux "Fausses" Résidences
- À ne pas confondre : Le sort des résidences secondaires
- Conclusion
Le Projet de Loi de Finances (PLF) pour 2026 est entré dans sa phase la plus critique à l'Assemblée Nationale. Dans un contexte budgétaire tendu, marqué par un objectif de déficit public de 4,7 % du PIB (source : budget.gouv.fr) et une recherche intense de recettes, tous les regards se tournent vers les niches fiscales .
Parmi elles, l'une des plus politiquement sensible : l'exonération totale des plus-values sur la vente de la résidence principale.
Considéré pendant des décennies comme un "totem" intouchable, un pilier du "pacte social" français favorisant l' accession à la propriété , ce sanctuaire fiscal vient de connaître une petite secousse sismique.
Un amendement surprise (porté par les socialistes) adopté en commission des finances, propose de conditionner cette exonération à une durée de détention minimale. Parallèlement, le gouvernement renforce son arsenal de contrôle contre les "fausses" résidences. L'âge d'or de l'exonération inconditionnelle est peut-être révolu.
Le droit actuel : Un principe d'exonération totale
Pour saisir l'ampleur du changement proposé, il faut rappeler la règle en vigueur, telle qu'énoncée par l'administration fiscale et le Code Général des Impôts (CGI).
« Vous êtes totalement exonéré si vous réalisez une plus-value sur la vente de votre résidence principale et de ses dépendances […]. Il s’agit de votre habitation habituelle et effective […]. Le logement doit être votre résidence principale au moment de la vente. »
Cette règle, inscrite à l'article 150 U, II-1° du CGI (consultable sur Légifrance), est l'un des socles de la politique du logement. Elle est totale (aucun plafond de plus-value) et inconditionnelle (aucune durée de détention minimale).
La doctrine fiscale (BOFiP - Bulletin Officiel des Finances Publiques-Impôts) confirme ce statut d'exception :
« L’article 150 U du CGI prévoit plusieurs cas d’exonération des plus-values […]. Cette exonération s’applique également à la cession de la résidence principale […]. »
(Source : Bofip.impots.gouv.fr)
Les fameux abattements pour durée de détention (qui mènent à une exonération d'impôt sur le revenu après 22 ans et de prélèvements sociaux après 30 ans) ne s'appliquent qu'aux résidences secondaires et aux biens locatifs. La résidence principale, elle, est exonérée dès le premier jour.
L'Amendement I-CF1426 Adopté en Commission
Le premier coup de canif dans ce contrat social a été donné le 22 octobre 2025. Lors de l'examen du PLF 2026 en commission des finances, les députés ont adopté l'amendement n° I-CF1426, porté par le groupe Socialistes et apparentés.
L'Objectif : Frapper les "Culbutes Spéculatives"
La justification de l'amendement, consultable sur le site de l'Assemblée Nationale, est claire. L'exposé sommaire cible un comportement précis :
« Le présent amendement […] vise à lutter contre les mécanismes de “culbutes spéculatives” consistant à acheter puis à revendre, dans un délai court, un bien immobilier en le déclarant comme une résidence principale pour échapper à la taxe […]. Ainsi le présent amendement propose de conditionner l’exonération à une durée de détention d’au moins cinq années comme résidence principale. »
(Source : Assemblée-Nationale.fr, Amendement n°I-CF1426 au PLF 2026)
Le Dispositif : 5 Ans d'occupation hors quelques exceptions
L'amendement modifie directement l'article 150 U du CGI. S'il était adopté en l'état, l'exonération ne s'appliquerait que si le bien a été la résidence principale du cédant :
« […] pendant les cinq années précédant le jour de la cession sauf lorsque la cession intervient pour un motif impérieux familial, médical ou professionnel ou en vue d’acquérir une autre résidence principale. »
(Source : Texte de l'Amendement n°I-CF1426, Assemblée-Nationale.fr)
L'amendement prévoit deux séries d'exceptions :
- Les motifs impérieux : Mobilité professionnelle, divorce, invalidité, etc.
- Le "parcours résidentiel" : L'exonération est maintenue (même avant 5 ans) si la vente a pour but l'acquisition d'une autre résidence principale.
Cet amendement ne vise donc pas le jeune couple qui s'agrandit après 3 ans, mais bien l'investisseur qui réalise une "culbute" rapide puis sort l'argent du circuit immobilier ou le place ailleurs.
Attention : À ce stade (10 novembre 2025), ce texte a été adopté en commission. Il n'est pas encore la loi. Il doit être confirmé en séance publique, puis examiné par le Sénat, avant une éventuelle commission mixte paritaire (CMP) et promulgation.
La réaction réservée du gouvernement
Cette initiative parlementaire ne provient pas du gouvernement, qui se montre prudent. L'exécutif est pris en tenaille entre sa recherche de recettes et sa crainte de gripper un marché immobilier déjà à l'arrêt.
Le nouveau ministre du Logement, Vincent Jeanbrun, a exprimé ses réserves. Cité par Le Figaro Immobilier (rapportant des propos tenus sur RTL) :
« Celui qui investit doit pouvoir y trouver une rentabilité […] Sinon, les petits épargnants vont épargner dans les produits financiers et cela ne redressera pas le logement. Quand les Français n’arrivent plus à se loger, c’est la colère, c’est l’injustice et ce sont les populistes qui gagnent. »
(Source : Le Figaro Immobilier, 24 octobre 2025)
L'Autre Offensive : La Chasse aux "Fausses" Résidences
Simultanément à ce débat législatif, le PLF 2026 renforce l'arsenal administratif de Bercy pour traquer les "fausses" résidences principales. C'est l'autre volet de l'offensive.
Là où l'amendement I-CF1426 vise des occupations réelles mais courtes, le fisc, lui, traque les occupations fictives : ces biens déclarés comme résidence principale mais qui sont en réalité des résidences secondaires ou des locations saisonnières dissimulées.
Le Figaro Économie détaillait dès le 2 novembre 2025 les nouveaux outils de la DGFiP :
- Data-mining : Les algorithmes de Bercy vont désormais croiser systématiquement les actes de vente (exonérés) avec les consommations d'énergie (eau, électricité, gaz). Des factures anormalement basses sont un indice majeur de sous-occupation.
- Croisement de fichiers : Les données des fournisseurs d'accès internet, des assurances habitation et des déclarations de taxe d'habitation (due pour les résidences secondaires) seront comparées.
Cette "traque" n'est pas nouvelle, mais le PLF 2026 lui donne une base légale et des moyens technologiques accrus.
À ne pas confondre : Le sort des résidences secondaires
Un autre amendement (n°I-377) concernant les plus-values immobilières a été adopté, lui, en séance publique le 3 novembre 2025. Mais il ne concerne pas la résidence principale.
Cet amendement vise l'article 150 VC du CGI et concerne les résidences secondaires et biens locatifs. Il ramène le délai d'exonération d'IR de 22 ans à 17 ans (le délai de 30 ans pour les prélèvements sociaux restant inchangé).
Conclusion
Pour la première fois depuis des décennies, l'exonération de la plus-value sur la résidence principale n'est plus un dogme. L'adoption de l'amendement I-CF1426 en commission des finances, même s'il émane de l'opposition, est un signal politique majeur.
Le sort de cet amendement est désormais entre les mains du gouvernement (qui peut le balayer d'un 49.3) et de la navette parlementaire.
Toutefois, deux choses sont acquises pour 2026 (sous réserve d'adoption du budget)
- Législativement, le tabou est brisé. La "culbute spéculative" est dans le viseur du législateur.
- Administrativement, la tolérance zéro est de mise. Le fisc dispose de nouveaux outils pour vérifier que l'occupation déclarée est "habituelle et effective".
Morgane Caillière
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