Indivision et succession : Une loi pour obliger les héritiers à s'entendre rapidement ?
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Un appartement hérité reste vide depuis des années, les héritiers ne se parlent plus, les clés circulent sans que personne ne décide de rien... Ce scénario, des milliers de familles françaises le vivent. Le 16 septembre 2025, François Jolivet, député Horizons de l'Indre, a déposé à l'Assemblée nationale une proposition de loi pour briser ce cercle vicieux. Son ambition : généraliser les conventions d'indivision et forcer les héritiers à trancher rapidement, quitte à bousculer la règle sacrée de l'unanimité.
Quand le patrimoine familial tourne au statu quo
Les chiffres donnent le vertige. En France, plus de 600 000 successions annuelles démarrent en indivision (données du Conseil Supérieur du Notariat, 2024), cette situation juridique où plusieurs héritiers se retrouvent copropriétaires d'un bien sans que leurs parts ne soient matériellement séparées. Sur le papier, la règle semble simple : pour vendre ou réaliser des travaux importants, tous doivent se mettre d'accord. Dans les faits, c'est le grain de sable qui enraye la machine.
Selon une étude de l'AFIB et des Notaires de France, une succession sur quatre dérape en blocage ou litige entre héritiers. La durée moyenne d'une indivision atteint six à huit ans, et près de 30 % d'entre elles ne trouvent jamais d'issue. Résultat : environ 50 milliards d'euros de biens immobiliers dorment dans les limbes de l'indivision en France (Le Monde, 2023), soit 8 à 10 % du parc immobilier détenu par des particuliers. Des appartements vides, des maisons qui se dégradent, des opportunités de vente manquées. En bref, un stock de potentiels logements disponibles à la vente ou à la location, dans un contexte où le besoin dépasse largement l'offre actuelle.
Le 16 septembre 2025, François Jolivet a déposé à l'Assemblée nationale une proposition de loi visant à généraliser les conventions d'indivision. L'objectif du député Horizons de l'Indre est d'obliger les héritiers à fixer rapidement des règles de fonctionnement claires, quitte à permettre des décisions à la majorité qualifiée plutôt qu'à l'unanimité. Une petite révolution dans un Code civil qui protège encore farouchement le droit de chacun à ne pas être "contraint de demeurer dans l'indivision".
Derrière ces statistiques froides se cachent souvent des drames familiaux. Un frère qui refuse de signer la vente d'une maison parce qu'il y a grandi. Une sœur qui veut encaisser sa part immédiatement quand les autres préfèrent garder le bien locatif. Des cousins éloignés introuvables, qui bloquent tout sans même le savoir. La justice peut trancher, certes, mais les procédures durent entre deux et cinq ans, parfois davantage selon l'encombrement des tribunaux. Pendant ce temps, les biens se détériorent, les relations familiales explosent, et le patrimoine fond comme neige au soleil.
L'unanimité, une règle gravée dans le marbre
Le Code civil français pose un principe aussi clair que contraignant : "Nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision". Beau principe de liberté, inscrit à l'article 815. Pourtant, dans les faits, sortir de l'indivision relève souvent du parcours du combattant.
Pour vendre un bien immobilier indivis, l'article 815-3 du Code civil exige le consentement unanime de tous les héritiers. Une seule voix discordante suffit à bloquer l'opération. Cette règle protège le droit de propriété de chacun, un principe constitutionnel que le législateur ne touche qu'avec précaution.
Depuis 2006, une exception existe : la majorité des deux tiers. L'article 815-5-1 permet aux indivisaires détenant au moins cette quote-part de droits de demander au juge l'autorisation de vendre, si la vente "ne porte pas une atteinte excessive" aux droits des minoritaires. Une brèche timide dans le mur de l'unanimité. Le tribunal apprécie au cas par cas, vérifie que l'opération ne lèse personne. Les juges restent prudents cependant, car vendre le patrimoine familial contre la volonté d'un héritier n'a rien d'anodin.
D'autres recours existent, théoriquement, notamment avec 'article 815-5 qui autorise un indivisaire à saisir le juge si le refus d'un autre "met en péril l'intérêt commun". Payer les droits de succession, échapper aux poursuites d'un créancier, empêcher la ruine du bien... Les motifs existent, mais la preuve pèse sur le demandeur. De plus, le temps file et entre l'assignation, l'instruction et le jugement, deux ou trois ans s'écoulent sans que personne ne puisse toucher au bien.
Résultat : l'immobilisme règne. Les héritiers qui veulent vendre se retrouvent prisonniers, les biens végètent, les toitures fuient, les squatteurs s'installent parfois. Le patrimoine se dégrade plus vite que les procédures n'avancent.

La convention d'indivision, un outil sous-exploité
La loi offre pourtant une solution depuis 1976 : la convention d'indivision, encadrée par les articles 1873-1 et suivants du Code civil. Ce contrat entre héritiers permet d'organiser la gestion collective, de définir qui fait quoi, comment les décisions se prennent. Une sorte de règlement intérieur du patrimoine familial.
Sur le papier, l'outil paraît intelligent. La convention peut désigner un mandataire chargé de gérer les biens au quotidien, fixer les règles de répartition des charges, prévoir une durée maximale de cinq ans renouvelables. Les héritiers peuvent même anticiper certaines décisions épineuses, comme l'attribution du bien à l'un d'eux en cas de décès d'un indivisaire.
Problème : la convention d'indivision reste facultative et nécessite l'accord unanime de tous pour être mise en place. Autant dire que dans les situations conflictuelles, elle n'a aucune chance de voir le jour. Les héritiers qui ne se parlent plus ne vont pas miraculeusement se réunir chez le notaire pour signer un protocole de bonne conduite. La convention d'indivision fonctionne surtout quand tout va bien, c'est-à-dire précisément quand on en a le moins besoin.
Cet instrument demeure donc confidentiel, et la plupart des successions se règlent sans convention, les héritiers préférant improviser au fil de l'eau plutôt que d'anticiper. Jusqu'au jour où un désaccord surgit, et là, il est trop tard pour poser les règles du jeu.
Ce que change (vraiment) la proposition Jolivet
La proposition de loi de François Jolivet, déposée le 16 septembre 2025, ambitionne de généraliser les conventions d'indivision. Mais contrairement aux dispositifs existants pour la succession, le texte brandit la carotte et le bâton. Son levier principal est de contraindre les héritiers à s'organiser rapidement, sous peine de sanctions financières.
Concrètement, la proposition prévoit d'inciter les indivisaires à conclure une convention écrite organisant la gestion du bien dans les trois mois suivant le décès. Un délai court, qui laisse peu de place à la procrastination. L'idée est de passer d'une logique d'inaction à une logique d'organisation
, comme l'explique le député dans son exposé des motifs.
Pour encourager les "bons élèves", François Jolivet prévoit une exonération des droits fixes d'enregistrement, ces impôts dus lors de la transmission de biens. À l'inverse, les retardataires seraient sanctionnés par une imposition forfaitaire. Il pourrait s'agir d'un droit d'enregistrement ou d'une taxe de publicité foncière de 0,5 %. Une pénalité modeste sur une maison de 300 000 euros (1 500 euros), mais qui peut peser lourd sur un patrimoine plus conséquent.
Une autre mesure choc est également évoquée dans le texte : le partage du bien serait impossible tant que la convention n'aura pas été rédigée. Un verrou qui veut empêcher les héritiers de laisser traîner la situation indéfiniment. Soit vous vous mettez d'accord sur les règles du jeu, soit vous restez bloqués. Le message ici est que l'inaction coûte cher.
En outre, le député de l'Indre propose d'encadrer davantage les droits et devoirs de chaque indivisaire durant la période d'indivision. Qui paie les charges ? Qui peut occuper le bien ? Qui prend les décisions d'entretien courant ? Autant de questions qui aujourd'hui génèrent des conflits sans fin, faute de règles claires applicables par défaut.
Un nombre croissant de biens – maisons, appartements, terrains – restent immobilisés pendant des années, parfois des décennies, faute d'accord entre les héritiers
, souligne François Jolivet. Sa proposition pourrait devenir un outil capital pour solutionner l'un des facteurs structurels de blocage du marché immobilier
. En forçant les héritiers à trancher, le texte espère remettre en circulation des milliers de logements aujourd'hui gelés.
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